Leo allume une nouvelle cigarette, inspire, recrache la fumée. Elle observe son écran d’ordinateur sans le voir, les mots qu’elle a écrit lui semblent vide de sens. Elle soupire et efface une fois de plus sa dernière production. Elle rabat l’écran sur le clavier et s’étire avant de se lever de sa chaise de bureau ; aujourd’hui est un jour sans. Son regard s’attarde sur la pendule qui lui indique qu’il est vingt heures. Quatre heures qu’elle n’a pas bougé, elle comprend mieux la sensation de raideur dans son corps, ainsi que l’envie de se changer les idées qui se fait de plus en plus présente. Elle pense à Levi, qui aurait pu être son âme sœur s’il n’était pas un si bon ami – mais qui restait un très bon amant. Aux dernières nouvelles, il est toujours séparé de la femme de sa vie, ce qui donne le feu vert à Leo pour lui rendre visite à cette heure avancée de la journée. Elle attrape une bouteille de vin, une veste et son sac à main. Rapide coup d’œil vers le miroir, et elle sort de chez elle.
Leo, elle est comme les enfants. Quand une idée lui passe par la tête, elle ne se pose pas de questions, elle le fait. Parfois, ça donne des résultats sympas, comme des rencontres intéressantes ou des soirées endiablées. Parfois, c’est tout le contraire. Comme cette fois où elle a décidé qu’elle voulait un chien et qu’elle a pris un labrador dans son appartement minuscule. Elle répond à ses désirs et y réfléchit après. Une vraie gosse, mais c’est une des choses qui la rendent attachante aux yeux de son entourage.
Le trajet jusqu’à chez Levi n’est pas long, elle aurait presque pu y aller à pieds - s’il ne faisait pas si froid. Leo passe la main dans ses cheveux avant de sonner chez son ami, ravie de passer la soirée avec lui. Enfin, à condition qu’il soit chez lui et qu’il n’ait pas d’autres plans bien sûr. Leo ne s’est pas donné la peine de le prévenir de son arrivée imminente. C’est un peu une habitude chez elle, d’ailleurs. Cela dit elle sait pertinemment qu’il saura lui dire si elle le dérange ou que le moment est mal choisi, Levi est un grand garçon. La porte s’ouvre et la jeune femme esquisse un sourire à l’intention de l’écrivain. « Surprise ! » elle lance, enthousiaste, en lui tendant la bouteille de vin. « Je te dérange ou tu es libre pour partager une bonne bouteille avec moi ? » elle demande d’un air mutin.

{ low light buddy of mine }

Une cigarette au coin des lèvres, ses doigts glissent sur la machine à écrire. Il plisse les yeux pour lire les mots qu'il vient d'écrire avant de grimacer doucement. Eternel insatisfait, ces derniers jours, il ne cessait de recommencer, encore et encore. La plupart du temps, il finissait par appeler Liv. Sa voix était couverte d'agacement, mais au final, elle passait tout de même des heures au téléphone avec lui, comme à chaque fois. Cela n'avait jamais été que ça entre eux, un éternel recommencement. Il ressentit un pincement au cœur ; aujourd'hui, il n'essayerait même pas. Suite à leur dernière dispute, il doutait fortement qu'elle daigne décrocher en voyant son nom s'afficher sur l'écran. D'un mouvement vif de la main, il arrachait la feuille avant de cracher la fumée toxique qui envahissait ses poumons. Puis il recommençait. Assis à son bureau, seul le bruit de ses doigts tapant les touches retentissait dans la pièce. Son téléphone se mit à vibrer, juste à côté de son verre de whisky. Son regard se baissait le temps de quelques secondes, puis il raccrochait brusquement. Un soupir traversait ses lèvres suivi de près d'un juron. Son agent lui mettait la pression et ça lui tordait les tripes. Rien de pire que d'écrire un roman en y étant forcé. Il attrapait sa cigarette du bout des doigts fixant la feuille d'un air perdu. Puis on toqua à la porte. Un sursautement et il se redressait vivement pour aller ouvrir. Un sourire étirait ses lèvres lorsqu'il aperçut la jeune femme sur le pas de sa porte. Un rire léger alors qu'elle lui précisait que c'était une surprise. Il s'empressait d'attraper la bouteille de vin qu'elle lui tendait prenant soin de lire l'étiquette minutieusement. « Pour une bouteille de vin et toi, je suis toujours libre, voyons. » Il s'écartait alors pour la laisser entrer remerciant le ciel que son agent ne soit pas là à squatter son appartement, comme à son habitude. Sans se faire prier, il récupérait sa veste et le reste de ses affaires. « Tu n'avais pas d'autre plan plutôt qu'une soirée en tête à tête avec un vieil écrivain alcoolique ? » demandait-il l'air taquin en sortant deux verres. Il l'aimait réellement Eleonor. Elle lui procurait un sentiment de sécurité, de réconfort. Avec elle, il était simple de se confier, de se décharger de tout son poids émotionnel. Elle avait compris dès le début qu'il était pris, obnubilé par une autre. Jamais il n'avait trompé Olivia, mais comment résister à une femme lorsqu'on est libre, sans attaches. Leurs courbes, leur odeur, leurs lèvres, elles avaient toutes un quelque chose qui l'attirait, le passionnait. Ils partageaient tous deux la passion des mots et de leur poésie, de l'invention littéraire. Sa passion, sa spontanéité, son rire ; il aimait beaucoup de choses chez elle. Les verres remplis dans les mains, il la rejoignait sur le canapé. Une esquisse de sourire alors qu'il lui tendait le sien.

{ low light buddy of mine }

S’il y avait bien un domaine où Leo, l’éternelle curieuse, ne s’était pas aventuré, c’était l’amour. Jamais personne n’avait suscité de tels sentiments chez elle en vingt-sept ans, et jamais elle n’en avait manqué. Comme toutes les adolescentes elle avait eu ses coups de cœur et il lui semblait qu’à seize ans elle avait cru avoir le cœur brisé pour toujours ; en grandissant elle n’avait plus jamais éprouvé cela. Mais elle n’était pas inquiète, elle savait qu’elle avait du temps encore pour tomber amoureuse et vivre les passions qu’elle détaillait si abondamment dans certaines de ses œuvres. Elle avait rencontré tellement de gens au fil de ses voyages, tellement de belles âmes auxquelles elle aurait certainement pu s’attacher. Mais Leo est libre et veut jouir encore de cette liberté, pouvoir partir où elle veut quand elle le décide, demain si elle le souhaite. C’est pour ça qu’elle aime autant Levi, il est la parfaite combinaison d’un ami et d’un amant, de quelqu’un qui sera là en toutes circonstances. Elle se sent chanceuse de l’avoir rencontré, reconnaissante presque. Elle l’aime sans amour – et c’est là tout la beauté de la chose. « C’est ce que je me suis laissé dire ! » Elle sautillait presque lorsqu’elle franchît le pas de la porte. Après s’être lestée de sa veste et de son sac, elle traversa l’appartement en direction du canapé sur lequel elle s’assit en tailleur, le regard posé sur Levi qui s’affairait dans la cuisine. « Je fais ma BA de la journée, rendre visite à un petit vieux pour lui apporter un peu de joie. Enfin surtout un peu de vin. » dit-elle en adressant un clin d’œil à Levi. Il la rejoignit quelques secondes plus tard et elle prit le verre qu’il lui tendait en le remerciant. « Alors dis moi, c’était quoi ton programme pour ce soir ? » demanda-t-elle après avoir bue une gorgée. Son regard balaya la pièce et s’arrêta sur la machine à écrire, et le tas de feuilles roulées en boule qui s’entassait dans la poubelle. Visiblement ils avaient rencontré le même problème, Leo ne pouvait que compatir. Ca ne lui arrivait que rarement mais elle ne supportait pas d’avoir tous ces mots qui virevoltaient dans sa tête et d’être incapables de les coucher sur papier. Elle avait bien vite compris que dans ces moments là, s’acharner était vain ; une pause était le seul moyen de remettre de l’ordre dans ses idées. Et ici, avec Levi, la pause ne pouvait qu’être agréable.