"Caïpirinha, c'était pour - ?" Aussi sec, le cocktail lui est arraché des mains et s'en va flotter en direction du salon, centre névralgique des festivités. Il ne s'en formalise pas, Gray, du manque de politesse, de l'absence de remerciement, de l'oubli d'une tape sur l'épaule bienveillante – que son art mérite amplement. Il ne s'en formalise plus. En tant qu'homme aux cocktails officiel de son cercle, tel est son lot. Il fait partie des meubles. Tel le comptoir, tel le frigo. Et il leur donne raison, ce con. Car tel le comptoir, tel le frigo, il n'a pas quitté la cuisine. A à peine aventuré un orteil dans le salon – car l'intro de One Dance résonnait dans les enceintes, et c'est si notoirement sa chanson que son absence sur le dancefloor aurait parue suspecte – avant de battre en retraite vers son shaker une fois le morceau achevé. Et quand Dess (car c'est Dess, et que l'inverse eut été étrange) a croisé les bras, haussé le sourcil droit et lâché un "tu planques ?" pas dupe, Gray avait grogné (car c'est Gray, et que l'inverse eut été alarmant). Répondu un "du coup, tu la veux pas, ta piña colada ?" qui avait eu l'effet escompté. Elle avait scellé les lèvres autour de la paille et quitté la pièce. Classique. Un verre d'alcool surmonté d'un palmier, ça faisait oublier toute suspicion. My baby sister, everyone. Il ne planquait pas, pas tout à fait. Car s'il planquait vraiment, il le ferait correctement, il le ferait à l'autre bout de la ville, avec une bouteille de vin rouge et une inconnue. Mais non, il était là, Gray, il avait trainé ses derbies dans un cossu troisième étage où Grace, une pote de sa sœur, fêtait son quart de siècle. Sa présence avait été requise ab-so-lu-ment, car il avait été envoyé par dieu sur terre pour satisfaire les papilles des fêtards – ou une autre connerie du genre que sa sœur lui avait servie. Naïvement, il y avait cru. Naïvement, il avait dit oui. Mais ça, c'était avant que la birthday girl passablement pompette se jette sur lui et n'enfonce sa langue goût tequila dans la gorge de Gray (et il l'avait laissée faire car, sérieusement, c'est son anniversaire, quel choix ça lui laissait ?). Il avait fini par comprendre. Que peut-être ses cocktails n'étaient pas la seule raison de sa présence ici. Que toutes les copines avaient amené un cadeau, et que Dess, elle avait amené Gray. My baby sister, everyone. Ça fait donc en tout et pour tout trois filles qu'il a à éviter, dans ce petit appartement bondé. Il y a Grace, qui apparemment a toujours eu un vague béguin pour lui. Il y a son ex, qui vit dans l'immeuble et a donc très probablement été invitée, bien qu'il n'ait pas encore aperçu cette silhouette bien trop familière. Et il y a Iggy – mais tu sais ce qu'on dit, à propos du loup. Quand on en parle, il apparaît vêtu d'une robe si alléchante qu'il te donnera envie de te vider la bouteille de vodka dans les yeux. Putain. Elle lui fait face, l'eye contact trop franc pour qu'il prétende avoir l'attention appelée ailleurs. Putain putain putain. "Un cosmo, je suppose ?" lâche-t-il, un poil sèchement, en attrapant le jus de cranberry sur le comptoir. Le stéréotype facile, car Iggy est Iggy, et qu'il a l'impression d'avoir quelque chose à lui prouver. Il y a quelque chose de railleur dans son ton, de flegmatique dans son regard, des artifices à foison pour éviter de dire m'approche pas, m'approche pas, m'approche pas, car si tu fais un pas en avant, je peux pas garantir de faire un pas en arrière.